Voyage en Orient
Alphonse de Lamartine
De juillet 1832 à septembre 1833, Alphonse de Lamartine s’embarque à Marseille pour un voyage au Moyen-Orient. Après avoir affrété un bateau de dix-neuf hommes d’équipage, en compagnie de sa femme et de sa fille Julia – qui mourra à Beyrouth pendant le voyage –, le poète et homme politique français visitera la Grèce, Malte, Chypre, la Palestine, le Liban, la Syrie, la Turquie, la Serbie et les Pays balkaniques… Reçu par les grands, curieux de tout, Lamartine surprend, dans ce journal au jour le jour, par son allant, sa témérité, et nous livre sur cette région aujourd’hui encore en proie à des tensions insolubles de précieux renseignements sur la genèse des conflits dans les Balkans aussi bien qu’au Liban.
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Voyage en Orient
Alphonse de Lamartine
« À cinq heures j’étais debout sur le pont ; le capitaine fait mettre un canot à la mer ; j’y descends avec lui, et nous faisons voile vers l’embouchure du Bosphore, en longeant les murs de Constantinople, que la mer vient laver : après une demi heure de navigation à travers une multitude de navires à l’ancre, nous touchons aux murs du sérail, qui font suite à ceux de la ville, et forment, à l’extrémité de la colline qui porte Stamboul, l’angle qui sépare la mer de Marmara du canal du Bosphore et de la Corne d’Or, ou grande rade intérieure de Constantinople ; c’est là que Dieu et l’homme, la nature et l’art ont placé ou créé de concert le point de vue le plus merveilleux que le regard humain puisse contempler sur la terre : je jetai un cri involontaire, et j’oubliai le golfe de Naples et tous ses enchantements. Comparer quelque chose à ce magnifique et gracieux ensemble, c’est injurier la création. »
« Il n’y a d’homme complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie. Les habitudes étroites et uniformes que l’homme prend dans sa vie régulière et dans la monotonie de sa patrie sont des moules qui rapetissent tout. Pensée, philosophie, religion, caractère, tout est plus grand, tout est plus juste, tout est plus vrai chez celui qui a vu la nature et la société de plusieurs points de vue. Si mon esprit s’est agrandi, si mon coup d’œil s’est étendu, si j’ai appris à tout tolérer en comprenant tout, je le dois uniquement à ce que j’ai souvent changé de scène et de point de vue. Étudier les siècles dans l’Histoire, les hommes dans les voyages et Dieu dans la nature, c’est la grande école. Ouvrons le livre des livres ; vivons, voyons, voyageons. Le monde est un livre dont chaque pas nous tourne une page ; celui qui n’en a lu qu’une, que sait-il ? »