Vous n’avez pas vu Violette ?
Marie Sizun
Elles s’appellent Claire, Fanny, Sophie, Marion ou Violette. Elles sont très différentes mais ont quelque chose en commun : un absolu besoin de liberté. Elles sont les héroïnes de ces nouvelles qui parlent de la vie de couple, de ses difficultés, du désamour, du divorce ou de la rupture, mais aussi de moments lumineux d’amour vrai, comme volés au quotidien. Chacune d’elles est au bord d’un choix, d’une décision à prendre, peut-être pas tout de suite mais dans un futur assez proche pour qu’elle puisse l’entrevoir et aller résolument vers lui.
C’est bien des histoires de libérations que nous conte Marie Sizun, et même si celle-ci avait peu abordé jusqu’à présent les thèmes du couple, du mariage ou de la relation amoureuse, elle excelle dans ces portraits de femmes en recherche d’elles-mêmes et qui trouveront toutes, au prix de douloureux bouleversements intimes, la voie qu’elles ont décidé de suivre.
Après neuf romans ou récits, Marie Sizun, pour la première fois et avec une grâce toute particulière, s’essaie au genre de la nouvelle.
Prix de la Nouvelle 2018, de l’Académie française
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Vous n’avez pas vu Violette ?
Marie Sizun
À sept ans, je n’avais jamais vu la mer. La mer, je la connaissais seulement par les images des livres. À l’école, parfois, on m’en parlait. Au cinéma, j’avais découvert son mouvement, sa musique. Alors l’envie m’est venue de la voir en vrai. Mais c’était loin, la mer, et, en ces années d’immédiat après-guerre, dans les milieux modestes, on partait peu en vacances ; en tout cas on n’allait pas à la mer. En plus, dans notre famille, les choses se passaient mal et l’humeur n’était pas aux voyages : depuis le retour de captivité de mon père, mes parents ne s’entendaient plus, et la naissance de mon petit frère n’avait rien arrangé ; ils se disputaient sans cesse, et j’entendais qu’il était question de divorce. Aussi, des vacances à la mer, ce n’était vraiment pas d’actualité.
La mer : le mot suffisait pourtant à m’enchanter. Il ouvrait pour moi sur du bleu, du loin, de l’ailleurs. Quand, par surprise il m’arrivait, que je le lise, ou l’entende, je le recevais comme un message, un souffle d’air venu de là-bas qui m’aurait fait signe. Qu’il fût prononcé par telle fille de ma classe annonçant avec suffisance que, cet été, elle serait « à la mer » en famille, ou chanté par Charles Trenet à la petite radio de notre cuisine : La mer... Qu’on voit danser le long des golfes clairs, je l’entendais, et j’étais partie.
Un jour, je ne sais plus à quelle occasion, mon père m’offrit un joli livre d’enfant richement illustré, Le Rêve de Jean-François, où il était question d’un garçon qui s’était endormi sur une plage et avait fait un rêve fantastique : il voyait débarquer devant lui un navire chargé de fruits et de fleurs exotiques, de personnages étonnants, mais au moment où on l’invitait à monter à bord, il se réveillait. Cette histoire me ravit. La mer c’était ça : un rêve.
L’année scolaire se terminait. Les disputes entre mes parents étaient en ce mois de juillet plus violentes que jamais. Il me semblait que le ton avait monté d’un cran, qu’ils n’avaient jamais été si haineux l’un envers l’autre, plus décidés à en finir. Je pensais la séparation imminente.
Mais j’essayais de mener ma vie à ma façon, perdue dans mes rêves, sourde au reste.