Guide anachronique de la neige
Élisabeth Foch-Eyssette
Certains chercheurs situent l’origine de leurs découvertes non au coeur de leur spécialité mais dans des moments apparemment anodins, lorsque leur esprit libéré de tout travail de démonstration baisse la garde. De grands scientifiques le disent : si l’on ne perd jamais son temps on n’arrive nulle part. Laissons notre esprit vagabonder pour entrevoir l’ordre sous-jacent de l’univers.
Cette promenade littéraire est aussi fragile et aussi belle que les premières neiges. Nous crions : il neige ! il neige ! et tous, philosophes, scientifiques, artistes, alpinistes, promeneurs ou enfants, tous nous tombons sous le charme énigmatique de la neige.
Ainsi Jean Malaurie, parmi les Inuits, en relève mille nuances linguistiques (Aoktorunrzeq, la neige tassée, fondue, gelée, là où un chien a dormi ; apinngrauyt, la première neige de l’automne ; qorktas, un trou fait dans la neige par un jet d’urine ; auviq, brique de neige pour faire un igloo ; nargrouti, morceau de neige pour boucher un trou qui goutte dans l’igloo…) Jigoro Kano, lui, inventera le Judo, en observant les roseaux et bambous ployant sans se rompre sous la neige, nous nous émerveillons. Le vénérable archevêque d’Upsala, Olaus Magnus publia en 1555 une oeuvre consacrée à la représentation graphique du cristal de neige. W.A. Bentley, surnommé Snowflake, sera le pionnier de la photographie de flocons. Premier cliché le 15 janvier 1885. Quatre mille cinq cents plaques suivront dont deux mille cinq cents publiées dans Snow Crystals. Pas deux flocons pareils, inimaginable ! (De la même manière, il étudiera les gouttes d’eau, la rosée, les nuages… avant de mourir en 1931 d’une pneumonie contractée après un blizzard.)
Où qu’elle tombe, pour le meilleur et pour le pire, la neige, toujours, intensifie les émotions.