Les Jours noirs
Brice Matthieussent
Lorsque Brice Matthieussent débarque pour quelques jours, dans un cadre universitaire, à Saint-Pétersbourg, il ne sait rien de la ville. Et même il a pris soin de ne pas s’informer.
Sa rêverie et sa lucidité n’en seront que plus intenses.
Ce qui se donne à lui, loin des Nuits blanches de Dostoïevski qui rôde dans ce texte merveilleusement, ce sont des passants lourdement vêtus, toque de fourrure et col relevé, réunis autour d’un brasero ; des chiens errants dans les ombres ; la lueur saccadée des lampadaires défectueux ; une main jaillit des ténèbres pour mendier et des jeunes filles belles comme dans les James Bond ; un inoubliable chauffeur de taxi bavard et brisé, la gravité de sa voix indignée ; une étourdissante nausée du faux neuf et la ferveur de jeunes étudiantes lisant des poèmes exaltées et mélancoliques.
On ne présente plus Brice Matthieussent qui nous a donné « l’Amérique » en éditant et traduisant des milliers de pages des auteurs majeurs des États-Unis (Jim Harrison, John Fante…), mais on le découvre ici sous un jour plus intime, fondamentalement sincère et émouvant.
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Les Jours noirs
Brice Matthieussent
Dans ces larges perspectives urbaines inspirées par la Renaissance et le siècle classique, je ne suis jamais ni le point de fuite, certes infinitésimal, mais vers lequel toutes les lignes du tableau convergent, ni le premier plan, ni même un figurant, encore moins le personnage principal : je suis un détail infime du paysage, une moucheture, plus futile qu’une fenêtre, plus anodin qu’un atlante ou une cariatide, je suis un être imperceptible et superflu, une sorte de parasite à peine toléré, partout menacé d’écrasement par les vrais citoyens de la ville – les palais en pierre taillée et aux façades peintes, les statues de marbre, les cavaliers de bronze, les poètes pétrifiés, les empereurs sur socle, les dignitaires géants. Mais c’est aussi cela une rencontre.