La Chambre
Philippe Bonilo
Tu es plus désirable que jamais, tout éclairée de l’intérieur.
Sommes-nous d’après toi en train de faire l’amour ?
En bavardant de la sorte ?
Oui.
Oui.
Alors pourquoi tu te tais ?
Je pense à toi.
Ne me pense pas, regarde-moi, prends-moi comme je suis, quand tu penses à moi, j’ai comme une absence, je crois que tu m’ignores.
Jamais je n’ai vu personne avant toi.
Pas même ton visage dans la glace.
Pas même.
Cette conversation entre deux amants, c’est le moment de l’amour. Celui terrible et bouleversant où vous êtes maîtres d’un royaume qui se dérobe au moment où vous croyez l’habiter. Tous les amoureux s’y reconnaîtront.
Rien ici ne doit être laissé dans l’ombre : la toute jeune femme entend faire la lumière sur son bonheur présent pour savoir s’il va durer toujours ; elle convoque l’avenir, le passé, s’invente des vies, des trahisons, envisage le pire et s’abandonne confiante. Lui a vécu davantage ; il croit savoir deux choses qu’elle ignore et redoute tout à la fois : tout amour a une fin et tout amour ne peut que s’ajouter à la liste des précédents. Il croit savoir mais reste émerveillé.
L’inquiétude qui émane de ce texte puissamment charnel, c’est celle de la vie ramenée à l’essentiel, une expression intense du désir et un désir de permanence hors de toute contingence morale ou sociale.
À travers cet échange entre deux amants, il ne faut pas s’y tromper, c’est l’amour qui se fait entendre, l’amour qui parle de lui-même à la première personne comme il l’a toujours fait.