L’Encrier de Madame de Sévigné
Barbara Lecompte
Un mystérieux bureau chinois conservé dans un hôtel particulier du Marais, un manoir en Bretagne, un château en Provence et un trésor qui a traversé les siècles, la correspondance de madame de Sévigné.
Fascinante marquise ! Nous la suivons, nous la devinons, arrimée à son écritoire, tour à tour profonde et drôle, mère inquiète, abusive, mais épistolière infatigable. Aussi friande de lectures au coin du feu que d’invitations royales, elle se révèle entre les pleins et les déliés de ses lettres autographes à la saveur incomparable.
Barbara Lecompte ressuscite la marquise, dans une biographie originale, empruntant des chemins de traverse semés de plumes apprêtées et d’encriers de voyage.
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L’Encrier de Madame de Sévigné
Barbara Lecompte
Elle parfumait son papier et usait une quantité incroyable de plumes, des litres d’encre. À son écritoire, tour à tour amusée, triste ou taquine, elle se laissait guider par ses pensées. Libre. Inconsciente du charme tenace de ses propos comme de la gloire à venir. Lorsque surgit une de ses réflexions savoureuses, glanée au cours de mes butinages littéraires, mise en appétit, je puise parmi les dix tomes d’une vieille édition au coeur de ma bibliothèque : son époustouflante correspondance. Je ne me lasse pas de son ton inimitable. Ses phrases résonnent, son esprit souffle, et par-delà l’épaisseur des siècles qui nous séparent, je souris, ravie et mystérieusement complice. Madame de Sévigné ensorcelle. Mieux qu’une maîtresse royale, un grand maréchal, un ministre ou le plus zélé des courtisans, elle cristallise le règne de Louis XIV. Image d’Épinal, son visage avenant, au chignon bouclé et aux mèches tire-bouchonnées, la marquise trône dans notre imaginaire, ses larges jupes déployées, et une plume d’oie en guise de sceptre. Chacun d’entre nous s’est frotté un jour ou l’autre à l’une de ses plus belles lettres et aujourd’hui encore sa prose figure au programme scolaire de nos collégiens, ce qui est plutôt rassurant... La reine des épistolières n’a pas cédé sa place.
Son fantôme erre peut-être dans ce plaisant quartier parisien du Marais, qui l’a vue naître en 1626, auquel elle est restée fidèle tout au long de sa vie, ne s’en éloignant que pour mieux y revenir. À moins qu’il ne hante la tour de son manoir des Rochers, où ses lointains cousins assurent qu’elle dormait lors de ses séjours en Bretagne. On frôlera peut-être aussi la marquise en Bourgogne, où elle possédait des terres et un cousin à l’esprit aussi aiguisé que le sien, à Vichy, où elle sua toute l’eau qu’elle avait bue « depuis sa venue au monde », à Lyon ou en Provence, région qu’elle explora d’Aix à Marseille, de Lambesc à Lunel, avant de s’éteindre à soixante-dix ans au château de Grignan où vivait sa fille, « la plus belle de France », sa grande passion. À la Révolution, les sans-culottes n’ont pas oublié de s’acharner sur sa dépouille aristocratique.
Tandis que les Parisiens découpaient la barbichette d’Henri IV et dépeçaient pêle-mêle Capétiens et Bourbons, une poignée de Provençaux, sous prétexte de trouver du plomb pour confectionner des balles, profanèrent la tombe de la marquise. Ils la trouvèrent sèche et parcheminée mais intacte, ressemblant à ses plus fameux portraits. Sans doute, quelques-uns, frissonnant, se signèrent en sa présence. Sa robe funéraire, bleu et or, fut découpée et partagée, ses mèches de cheveux et ses dents distribuées comme des reliques. L’un d’eux proposa de scier son crâne pour le faire expertiser et emporta la calotte, ignoble trophée. L’histoire ne dit pas s’il réussit à faire commerce des méninges momifiées de madame de Sévigné, mais on assure que sa pauvre dépouille, déguenillée, édentée et scalpée fut replacée dans son cercueil « avec un grand respect »... Faute d’y avoir trouvé le secret de son esprit vif, les pilleurs se contentèrent de quelques bijoux, croix et chapelet, avant de sceller de nouveau la dalle de marbre dans la collégiale Saint-Sauveur de Grignan.
La marquise n’avait donc pas été ensevelie avec les attributs régaliens de ses fonctions. Ni encrier, ni plume, ni écritoire. La manière égyptienne, dans un tombeau plus vaste, aurait fait reposer cette grande voyageuse auprès de son carrosse, et, mieux encore, en compagnie de son bureau, mettant à sa portée une provision de papier en prévoyance de ce temps dilaté qu’est l’éternité. En matière de conservation, la sécheresse du désert n’a jamais été surpassée, et il faut reconnaître que les princesses d’Égypte ont jouissance de mausolées infiniment plus confortables que les marquises françaises. Moeurs, coutumes et latitudes... Voilà pourquoi un certain bureau-secrétaire « à abattant formant commode décoré de laques d’Extrême-Orient » n’a pu accompagner sa glorieuse maîtresse dans son exiguë et froide demeure éternelle à l’européenne. Ce meuble exceptionnel, complice de madame de Sévigné nous est parvenu intact. Il est possible de l’admirer à l’hôtel Carnavalet, résidence parisienne de la marquise et aujourd’hui musée.