L’Angle mort
Véronique Merlier
Cécile et François forment un jeune couple a priori ordinaire et heureux ; ils sont les parents d’un petit garçon de trois ans, aimeraient avoir un autre enfant et continuer ce chemin semé de joies simples.
Un angle mort, pourtant, borne leur vie commune depuis l’origine. Cet endroit invisible, François l’a perçu dès l’adolescence, sans jamais lui donner de nom, sans jamais en parler à personne. Il s’est laissé porter par la vie et envelopper par l’amour de Cécile.
Mais l’été où meurt sa grand-mère, François bascule. Il passe une frontière qu’il ne percevait que confusément jusque là et décide de vivre ses attirances homosexuelles. Pour autant, il ne veut pas changer de vie, et pense garder secrète cette transgression. C’est impossible ; il faut désormais qu’il parle et qu’il vive pleinement cette part de lui-même.
Bouleversée par son aveu, Cécile ne cesse pas d’aimer François ; elle veut à toute force comprendre ce basculement, et pense qu’ils passeront l’épreuve.
Mais peut-être n’y a-t-il justement rien à comprendre. Quelle que soit l’énergie déployée, quel que soit le point de vue, il y aura toujours une part invisible, incompréhensible, un angle mort.
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L’Angle mort
Véronique Merlier
L’angle mort, on appelle ça l’angle mort. Quand tu recules, quand tu doubles, quand tu regardes derrière pour te garer, il y a toujours un endroit que tu ne vois pas. C’est ça, l’angle mort. Il faut faire attention, tout peut arriver. Une seconde d’inattention et tu te prends un trottoir, une barrière, une autre voiture. Il faut s’en méfier, de l’angle mort. Allez, tu vas te garer dans la petite allée, là-bas. On va voir si tu as compris.
Cécile revoit le visage grêlé du moniteur auto-école, sa main qui enveloppe furtivement la sienne sur le levier de vitesse. Elle essaie de se concentrer, de coordonner, autant qu’elle peut, sa pensée et ses gestes. Là doucement, on rétrograde, troisième doucement, voilà. Elle ralentit encore, s’arrête, enclenche la marche arrière. Puis elle recule, avec un coup d’œil bien appuyé pour ce mystérieux angle mort. C’est là qu’il faut regarder, apparemment. Pour se prémunir du danger, soi-disant.