Éloge du génie
Patrick Roegiers
Les génies ne sont pas de doux dingues, des individus bizarres, délirants ou anormaux. Radicalement différents des autres, ils sont absolument uniques. Et vivent en compagnie d’eux-mêmes et des rares proches qui leurs sont supportables, et partagent leurs doutes, leurs excès et leurs interrogations. C’est ainsi qu’ils se débrouillent.
Les trois œuvres de Vilhelm Hammershøi, Glenn Gould et Thomas Bernhard sont de première importance, dans trois domaines majeurs de la création : la peinture, la musique et la littérature. Tous trois sont des artistes d’une extrême exigence qui ont consacré leur vie à leur art, avec une radicalité et une audace incomparables. Leurs phobies, manies ou obsessions sont, aux yeux de Patrick Roegiers, les composantes mêmes du génie, exigeant la mise à disposition exclusive de tous les moyens. Pas d’échappatoire, pas de compromis ni de consolation pour les créateurs. C’est dans cette solitude que s’ancre la beauté.
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Éloge du génie
Patrick Roegiers
On arrive à la fin du concert. Le public, ébloui par ce qu’il vient d’entendre, ne sait plus comment manifester son enthousiasme. Admirable ! Bravo ! Bis ! Superbe ! Quel artiste ! Encore une fugue ! Glenn Gould ne revient pas sur sa décision. Avec celui de Chicago qu’il donne quinze jours plus tôt, le dimanche 28 mars, le concert de Los Angeles est le seul de l’année, négocié à prix d’or par son imprésario Walter Homburger, qui est aussi celui d’Israël Horowitz dont il aurait suivi les cours selon Thomas Bernhard, fasciné par l’isolement du génie, la force du repli et l’ardeur de la passion. C’est le dimanche de Pâques. Il n’a pas annoncé qu’il s’agit de la dernière tournée. C’est un concert d’adieu.